Germaniacs
DES CENTAINES DE MILLIERS D'ALBUMS VENDUS EN EUROPE,
UN SUCCÈS CROISSANT AUX USA, UNE PARTICIPATION TRÈS REMARQUÉE
AU "FAMILY VALUES TOUR", UNE TOURNÉE AVEC SOULFLY ET SKUNK
ANANSIE, DES CONTROVERSES À GOGO, UNE VIDÉO ET UN ALBUM LIVE BODY
BUILDINGUÉS... IL ÉTAIT TEMPS POUR NOUS DE FAIRE ENFIN LE POINT
SUR "LE CAS RAMMSTEIN"!
Nous sommes à Berlin, ville natale du sextet germanique
le plus célèbre actuellement hors de ses frontières. Ce
soir, c'est la présentation à la presse et aux représentants
internationaux d'Island de quelques extraits de la vidéo "Live Aus
Berlin", version filmée de l'album éponyme, enregistré
lors de 2 concerts monstrueux au Wuhlheide de Berlin, devant 20000 fans chaque
soir!
La soirée a lieu dans un immeuble quasiment en ruines,
recouvert de grafs, et qui sert à la fois de squat d'artistes et de club
branché grâce à son classement comme monument historique.
L'intérieur est en fait plutôt préservé, et la salle
qui nous accueille est décorée avec bon goût et ornée
de bougies. La projection des morceaux choisis du show ne fait alors que conforter
notre opinion : Rammstein, c'est un peu "Archaos à la Fête
de la bière", un grand cirque indus-métal-choucroute qui
tape clairement endessous de la ceinture mais qui dépote un maximum.
La rencontre du métal teuton le plus grandiloquent et
de l'E.B.M. 80's le plus rigoureux, assorti d'un spectacle pyrotechnique sans
grande finesse mais d'une indéniable efficacité. Quant à
certains passages qui leur ont valu quelques effluves de scandale lors de leur
séjour aux USA, il ne faut franchement rien y voir d'autre qu'une "kolossale
rigolade".
AMERICA ÜBER ALLES
Rendez-vous le lendemain dans les bureaux proprets du management, eux aussi
situés dans un immeuble extérieurement délabré,
qui abrite aussi bien une salle de concert qu'un complexe de gym. Tandis que
chaque membre se partage les divers journalistes, et qu'il semble clair que
Till (chanteur) ne daignera pas se montrer aujourd'hui, c'est heureusement Richard
Krüspe, premier guitariste loquace très impliqué dans la
création des chansons, qui répondra à nos questions. A
commencer par celle concernant l'intérêt de sortir aujourd'hui
un album live, alors que tout le monde attend plutôt leur troisième
opus studio.
Richard : "Ce live représente une sorte de première
étape dans notre carrière. C'est un peu comme une relation avec
une femme : il y a des hauts et des bas, et il arrive un moment où tu
dois faire un bilan pour mesurer le chemin parcouru et mieux repartir sur de
nouvelles bases. Rammstein existe depuis plus de 6 ans, nous avons eu de plus
en plus de succès, un certain nombre de choses ont changé pour
nous tous... Mais depuis quelque temps, nous étions de plus de plus obnubilés
par les aspects commerciaux du groupe, ce qui n'est pas une bonne chose d'un
point de vue artistique."
La sortie de ce live justifie le fait qu'il n'y ait finalement
qu'un seul titre des Allemands sur la version discographique du "Family
Values Tour 98", qui a pourtant permis à Rammstein de conquérir
complètement le public américain. Fait rarissime pour un combo
chantant exclusivement en allemand et qui ne faisait pas partie à l'origine
de la petite famille Korn. "Lorsqu'on nous a proposé de faire le
"Family Values Tour", on nous demandait de jouer en deuxième,
au début de chaque soirée. Nous avions refusé, parce que
nous aurions alors joué devant seulement 500 ou 600 personnes et cela
ne nous intéressait pas. De plus, il était question à ce
moment-là que l'on tourne avec Rob Zombie. Ensuite, Korn nous ont proposé
finalement de partager la tête d'affiche avec eux, et là nous avons
accepté.
Mais à ce moment là, ce sont les autres groupes
qui n'étaient plus d'accord. Au début, les relations avec eux
étaient donc un peu tendues, d'autant plus que nous n'étions pas
américains. Mais au fil des dates, quand ils ont vu nos shows, ils sont
tous venus au fur et à mesure nous dire qu'ils étaient impressionnés
par ce que nous faisions, et nous avons fini par faire la fête tous les
soirs avec eux. D'ailleurs, j'ai appris que la semaine dernière, Ice
Cube était invité au "David Letterman Show" et qu'il
n'a pas cessé de parler de Rammstein pendant une heure. Nous avons vraiment
dû le marquer (rires)." On s'en rend rapidement compte, Rammstein
désire avant toute chose réussir aux USA. Ayant mis leur pays
d'origine à genoux, nos Kiss du futur ne se sont jamais caché
de vouloir conquérir le pays de l'Oncle Sam. Ce qui est d'ailleurs quasiment
fait. Alors, heureux? "Les USA sont en effet pour nous la plus haute marche
du podium. L'Europe est la seconde et l'Allemagne la troisième. Personnellement,
je ne suis jamais pleinement satisfait de quelque chose, je pense que l'on peut
toujours mieux faire. Si l'on n'essaie pas de viser plus haut, on stagne."
A DOUBLE TRANCHANT
Petit problème : lorsqu'on fait une musique bruyante pour les jeunes,
que l'on mise à fond sur un visuel outrageux, et que l'on vient d'un
pays au lourd passé historique, la popularité peut vite devenir
dangereuse. Preuve en est les multiples déboires rencontrés par
Rammstein dans les pays anglo-saxons. A commencer par la controverse autour
du clip illustrant leur reprise du Stripped de Depeche Mode (pour le tribute
"For The Masses"), qui contenait des images de "Olympia",
documentaire sur les Jeux Olympiques de Berlin de 1936 signé Leni Riefenstahl,
réalisatrice proche d'Hitler. "Lorsque nous avons décidé
d'utiliser les images de ce film, nous n'aurions jamais pensé que cela
provoquerait de telles réactions. En outre, ce n'était que "Olympia",
si ça avait été "Le Triomphe de la volonté"
(document de pure propagande sur le congrès du parti nazi de Nuremberg,
ndr) cela aurait été bien entendu différent. En fait, le
réalisateur du clip voulait coller des images de sport sur ce titre.
En guise de démonstration, il a pris des images de ce film pour nous
montrer ce que cela pouvait donner. Et nous avons trouvé que pour la
première fois, les images s'accordaient parfaitement avec la musique.
Nous avons donc décidé de conserver le clip tel quel. Lorsqu'il
est sorti en Allemagne, il n'a suscité aucune réaction. C'est
lors de sa présentation en Angleterre que Goldie a lancé la controverse.
Tout est parti de là et le scandale est ensuite revenu en Allemagne."
Dès les premières protestations, le groupe s'empresse
d'envoyer un communiqué affirmant qu'ils ne sont pas "nazis ou néo-nazis.
Nous sommes contre le racisme, le fanatisme ou n'importe quelle forme de discrimination".
Une mise au point nécessaire, mais qui ne les empêchera pas d'être
à nouveau montré du doigt lors du carnage perpétré
par les deux lycéens de Littleton, qui citaient, soi-disant, parmi leur
groupes préférés : Marilyn Manson, KMFDM et... Rammstein!
"Lorsqu'on a appris ce qui s'était passé, nous avons aussitôt
envoyé un communiqué déclarant que nous étions très
attristés, mais que nous étions persuadés de n'avoir aucune
responsabilité dans cette histoire. Nous avons tous des enfants et nous
sommes donc très sensibles à ce genre de chose, mais le problème
ne vient évidemment pas de la musique. Pendant qu'on y est, pourquoi
ne s'en prend-t-on pas aux fabricants de manteaux noirs? De plus, l'un des ados
a laissé une lettre expliquant leurs motivations, qui affirmait que la
musique n'avait eu aucune influence sur leur décision. Et cette lettre
n'a évidemment été publiée qu'une seule fois!"
Cette histoire ne fait évidemment pas du bien à
nos Teutons, à l'heure où beaucoup de gens, y compris en Allemagne,
les accusent de propager une imagerie fascisante. "Je n'ai pas à
essayer de convaincre les gens, je peux juste affirmer en toute sincérité
que nous ne sommes pas fascistes. Je pourrais donner des exemples tirés
de ma vie privée, mais je n'ai tout simplement pas envie de rentrer dans
des détails personnels." D'autant que le guitariste et le chanteur
se sont déjà largement défendu d'être des adeptes
du fascisme dans leurs multiples interviews françaises.
NOUVEAUX IMMEUBLES EN DÉMOLITION
Autre sujet de prédilection du groupe : le sexe! Leurs chansons parlant
essentiellement de la chose, il était normal que le visuel suive. C'est
le cas lors de Bück Dich ("Baisse-toi"), où Till exhibe
un (faux) phallus énorme, avant de simuler une sodomie sur un Flake Lorenz
(clavier) bondagé, pour finir sur une interminable éjaculation.
Là encore, l'Amérique a réagi : contrôle du show
par les autorités dans certains Etats et déboires de la vidéo
du "Family Values" avec la censure. La viabilité à l'export
de Rammstein devra-t-elle donc passer par l'édulcoration de leur démarche?
"S'il suffit de changer une petite partie du spectacle
pour qu'il soit accepté, nous sommes prêts à faire cette
concession. Mais s'il s'agit de changer entièrement le show ou de transformer
complètement ce qu'est Rammstein, c'est hors de question." L'interview
étant terminé, nous reprenons le taxi pour traverser rapidement
quelques parcelles de la capitale germanique. Et l'on se dit alors que, finalement,
la musique et le concept de Rammstein sont à l'image de la ville qui
les a vu naître : massifs et carrés, alternant puissance brute,
sombre beauté et goût douteux. "100% Made in Germany!"