Allo maman bobo
Apres la sortie triomphale de mutter,le troisieme album de rammstein, le
sextette allemand s'apprête a silloner les routes du monde entier. Quel
meilleur endroit que sa ville natale pour decouvrir le nouveau show epoustouflant
de la formation berlinoise?
Il
est 13h05. Sophie est un peu en retard. "J'ai attendu mon tramway dix minutes,
le salaud m'est passé sous le nez." Sophie râle. Sophie râle
tout le temps. Elle très jolie, petite, extrêmement intelligente,
fabuleusement douée pour les langues et d'un dynamisme confondant mais
elle râle. II suffit de s'y habituer et puis ça ne va pas nous
empêcher de profiter de cette belle matinée du mois de mai. L'avion
part à 16h25, le rendez-vous est à trois heures à l'hôtel.
Enfin trois heures moins le quart selon Alex mais il n'est pas nécessaire
d'y prêter plus d'attention que cela. Lui sera à la bourre de toutes
les façons. Nous n'avons quand même pas beaucoup de temps pour
faire du tourisme et c'est à quelques encablures de l'Alexander Plaza
Hôtel que nous nous asseyons à une table devant un bar qui sert
uniquement des brunchs le dimanche midi. À 22,5 dm par personne. Nous
sommes en plein quartier Mitte, le quartier du milieu, correspondant en gros
au no man's land qui séparait il y a encore une douzaine d'année
la partie ouest de la partie est de Berlin. Comme selon toute apparence, l'ensemble
de la cité, le coin est en pleine rénovation. L'obstination, la
démesure et l'empressement que les Berlinois montrent à vouloir
faire disparaître toute trace de l'époque communiste confine à
la pathologie. II ne reste donc plus grand-chose de la RDA si ce n'est quelques
immeubles, en général sursitaires. Mais ceux-ci présentent
des façades tout à fait fascinantes. Elles sont d'un gris comme
on en rencontre peu. Cette grisaille, symbole très galvaudé du
réalisme social n'en possède pas moins un attrait hors du commun.
Elle synthétise toute la saleté, toute la crasse de la civilisation
industrielle. En inspectant ces pierres, on a un peu l'impression de passer
devant Tchernobyl, Harlem, Corbeilles Essonne ou tout autre partie dévastée
de la planète. Rarement gris fut aussi intense.
LA CITE DES ESPACES VERTS
Heureusement, Berlin est aussi la cité des espaces verts et le brunch
pourra s'éterniser un peu sur le trottoir de la Oranienburger Strasse,
heureusement dépourvue du va-et-vient continu des tramways. Nous sommes
tout prêts de la station Hackesher Markt et du S-Bahn, le train qui reliait
autrefois l'Est et l'Ouest et qui vient d'être remis en service. Sophie
sait à peine qui est Rammstein et ne pourrait situer le Velodrom où
s'est déroulé le concert de la veille. Elle est ici pour terminer
ses études, apprendre le Russe et pratiquer le triathlon. Elle donne
aussi des cours de français au domicile de ses élèves le
dimanche matin. C'est pour cela qu'elle était un peu en retard tout à
l'heure. A moins que cela ne soit à cause ces fraises qu'elle a engloutie
avant de remonter sur son vélo de course pour retourner chez elle pas
loin de Fredrickstrasse.
GROSSE ARTILLERIE
II est probable que le terme de sobriété n'a jamais paru faire
partie de la vulgate version Rammstein. C'est pourtant un substantif que l’on
peut utiliser pour décrire le show de Berlin, ce 19 mai 2001. Qu'est
ce que cela signifie? Essentiellement que la très grosse artillerie au
sens propre du terme a fait long feu (!). Comme ils le disent eux-mêmes,
Raus le zodiac qui permettait au clavier de nager sur le public ; Raus l'arc
qui crachait des étincelles; Raus le pénis surdimensionné
et très expansif de Till Lindenmann; Raus les sodomies majeures et les
costumes à paillettes désormais le marcel noir est de rigueur.
Oh, du feu, des flammèches, des explosions, il y en a encore. En de nombreuses
occasions. Mais plus aussi systématiquement que par le passé.
Ce qui s'inscrit dans le cortex du spectateur, c'est l'esthétique du
spectacle (car un concert de Rammstein reste un spectacle) et la musique. Plus
encore que par le passé en fait. Et ce, grâce aux titres de Mutter,
au grand dam des afficionados du coté "tanz-metal" qui dominait
Herzeleid et Sehnsucht, les deux premiers disques du sextette Est-berlinois.
Et ce d'autant plus que Rammstein n'hésite pas à entamer le show
en alignant huit titres enchaînés extraits de Mutter. En fait,
Rammstein joue l'intégralité de son dernier album puisque outre
"Mein Hertz Brennt", "Links 2 3 4", "Feuer Frei !"
"Rein Raus", "Adios", "Mutter", "Spieluhr"
et "Zwitter" qui constituent les trois premiers quarts d'heure du
show, les Berlinois terminent par "Sonne", "Ich Will" et
le décidément très majestueux "Nebel". Enfin,
terminer n'est pas parfaitement exact puisque le groupe reviendra une dernière
fois pour exécuter au sens propre une reprise du "Pet Semetary"
des Ramones, chanté par Flacke Lorenz, le clavier rejoint par Till, en
hommage à Joey, le chanteur du quartette newyorkais récemment
disparu. Même si le chant était atrocement faux et l'interprétation
quasi ascétique, la raideur des musiciens et l'approche totalement minimaliste
avaient quelque chose d'émouvant.
ENCHAINEMENT CLASSIQUES
C'est à la fin de la première partie du set que Rammstein place
ses "classiques" enchaînant "Weisses Fleisch" du premier
album, "Sehnsucht", "Asche Zu Asche", "Du Hast"
et "Engel". Le premier rappel démarre sur "Rammstein"
avant de revenir sur les derniers extraits de Mutter. Celui-ci permet à
Till de ré-endosser son habit favori, le manteau qui prend feu. L'enchaînement
est donc parfait, le rythme étant parfaitement maintenu. La musique de
Rammstein, même si elle semble parfois un peu monolithique, fonctionne
en fait sur les alternances de passages rustauds et les breaks "calmes"
qui parsèment la plupart des titres. II ne se passe guère de plus
de deux ou trois minutes avant qu'un "incident" ne vienne se produire.
Rupture de temps à l'intérieur des chansons qui donne lieu à
un changement radical d'éclairage - lumière blanche sur les tempos
soutenus, spots bleu/violet sur les accalmies - ou quelque effet pyrotechnique.
Le minutage est parfait pour que l'attention du spectateur reste maximale. Et
c'est bien la musique qui profite de l'éclipse des grosses machineries.
C'est elle qui force l'admiration en particulier sur les titres de Mutter dont
les splendides mélodies - "Mein Hertz Brennt", "Sonne"
"Mutter", "Nebel" - apportent une sensibilité seulement
effleurée jusqu'à maintenant. Till apparaît alors comme
un chanteur hors du commun, ample, rugueux mais aussi mélancolique, voire
romantique. Un aspect renforcé par l'apparition d'une chanteuse toute
de blanc vêtue qui vient l'assister sur "Engel" et son thème
à la X-Files avant de s'éclipser pour revenir sur "Nebel".
Et non, Till ne lui fait subir aucun outrage, dans un show presque asexué.
UN PANTERA CIVILISÉ
La musique, donc: massive, puissante, basée avant tout sur ces guitares
fondatrices qui permettent à Rammstein de sonner comme un Pantera civilisé.
C'est bien la combinaison unique des accroches de clavier, de la voix tonitruante
mais toujours naturelle de Till, de mélodies sacrement futées
et de cette rythmique ferroviaire qui fait de Rammstein un groupe unique et
majeur, capable de flatter plusieurs millions de personnes, de faire gigoter
les plus instables des spectateurs et d'assurer un show imparable. Et puis,
il y a les lumières qui sont d'un niveau rarement vus sur une scène
rock. On pense même au Peter Gabriel du début des années
80 avec ces tubes verticaux aveuglants, ces groupes de huit spots qui s'éclairent
par rangée entière ou en alternance, de couleur rouge orangée
la plupart du temps. II y a ces vari-lites vertes qui se tortillent hystériquement
et ces espèces de soucoupes volantes à la mode des années
50 qui surplombent chaque musicien. On en viendrait presque à regretter
les jets de flamme et les explosions qui viennent perturber un ballet lumineux
absolument remarquable. L'entrée en scène est elle aussi exceptionnelle,
même si du fond du Velodrom - qui est un véritable vélodrome
avec piste cyclable intégrée - on ne fait que la deviner. Les
six musiciens descendent d'une grosse boule colorée qui symbolise un
utérus, vêtus seulement d'énormes couches-culottes. Des
musiciens au jeu de scène très réduit. Idem pour Till qui
la plupart du temps prend une pose assez semblable à la "Henri Rollins
Attitude", penché en avant, tous les muscles bandés. Seul
Flacke s'autorise une petite danse sur "Weiber Fleish" ou une petite
parade militaire durant le très controversé "Links 2 3 4",
le Morceau qui démarre par le pas cadencé d'une troupe en marche.
Till ressort son lance-flammes sur l'apocalyptique "Feuer Frei" ponctué
de "bang ! bang !" autoritaires et s'affuble d'une paire de chaussures
crachant des étincelles à l'entame de "Weiber Fleish".
Richard, le guitariste fait rendre l'âme à sa guitare et "Adios"
permet d'entrevoir un jongleur. II n'empêche. Ce qui fait se lever de
son siège en trépignant, c'est bien la cohésion musicale,
l'incroyable détermination des protagonistes et l'infaillible adéquation
entre la musique, la voix de Till et la langue allemande. Quelque chose qui
prévaut de la première à la dernière note.
VOULU PAR L’ARCHITECTE
Il est quatorze heures. Les journalistes, photographes, gagnants de concours
et leurs accompagnateurs de la maison de disques (Universal) viennent d'arriver
de l'aéroport. Ils s'installent à l'une des tables du restaurant
qui constitue le coeur de l'Hôtel Alexander Plaza, à côté
du puit de lumière - voulu par l'architecte. Les serveuses sont aimables
mais pas très douées en anglais. Tout le monde se dépêche
de commander quelque chose à manger, même s'il est trop tard car
les cuisines ont fermé à 13 h 30. Un des protagonistes remarque
alors le trou dans la chevelure de la personne assise à sa droite. Celle-ci
raconte alors en sirotant une bière blonde qu'elle s'est faite ça
en tombant par terre alors qu'elle se trouvait dans une chambre d'hôtel
à l'Ile Maurice. L'endroit était alors la plaque tournante du
trafic d'héroïne.
Dans un accès de désœuvrement et grâce aux bons soins
d'un chauffeur de taxi, elle s'était fait un fix monstrueux avec une
overdose à la clé. Le seul trou que je me suis fait à la
tête, c'est parce que j'avais glissé sur un morceau de savon dans
les douches d'une colonie de vacances à l'âge de sept ans. Enfin,
un trou est un trou.