L'empire d'essence
Rammstein
n’a peur de rien : ni du feu, ni de simuler des scènes de sodomie
très arrosées entre son chanteur et son clavier sur scène.
Ni de faire appel à un orchestre classique sur son très attendu
troisième album, Mutter
Voilà bientôt deux ans que Rammstein s'est retiré du devant
de la scène musicale.
Deux ans que les membres du groupe allemand auront occupés à sortir
le disque, la vidéo et le DVD Live Aus Berlin, mais surtout à
composer les onze (leur chiffre porte-bonheur) titres de leur nouvel Lp, Mutter,
enregistré dans le Sud de la France, à Mirabel, et qui sera disponible
au mois d'avril. Chanceux comme nous le sommes, nous avons pu écouter
huit titres en avant-première (dont l'approche paraît plus calme
et symphonique comparée au métal industriel très froid
et tranchant de Herzeleid et de Sehnsucht) et nous rendre à Berlin pour
interviewer l'accueillant et sympathique guitariste Richard Kruspe, en marge
du tournage du clip de « Sonne », le premier single extrait de Mutter.
Sombres Harmonies
Pourquoi avez-vous souhaité faire un album
plus symphonique?
Richard Kruspe : Parce que j'ai écrit les nouvelles
chansons dans ce sens. Je trouvais qu'elles en avaient besoin. J'adore les instruments
à cordes pour le côté assez sombre des harmonies qu'ils
dégagent. Quand je compose des morceaux, j'utilise l'équipement
de mon studio, c'est-à-dire des samples et des CD-Rom. Le son est correct
mais quand tu disposes de moyens financiers, ce qui était notre cas,
autant faire appel à un véritable orchestre. Cela donne plus de
dynamique et de profondeur à la musique.
L'utilisation de choeurs féminins ajoute également
un aspect plus gothique à Mutter. Est-ce l'effet que vous cherchiez à
produire?
R. K. : C'est assez inconscient, en fait. Nous avons utilisé
des voix de femmes parce que nous pensions que cela faisait un bon contraste
avec la musique qui est plus heavy. Je n'avais pas l'intention de faire un disque
particulièrement sombre, c'est quelque chose qui doit être enfoui
au fond de moi ou au fond du groupe. D'autant que je n'écoute pas particulièrement
de groupes gothiques. Au contraire, je préfère la pop. C'est sans
doute que j'ai un peu de tristesse en moi, je ne sais pas, je vais y réfléchir
(rires).
Le fait est qu'il y a un aspect plus triste sur Mutter
que sur Herzeleid et Sehnsucht...
R. K. : Peut-être, bien que je ne trouve pas que la musique
soit spécialement noire et sombre. Je la trouve plutôt optimiste
et colorée. Nous ne songeons pas au suicide (rires). L'album s'appelle
Mutter, ce qui signifie « mère » en allemand, et quand tu
réfléchis à ce sujet, aux relations que tu peux entretenir
avec ta génitrice, c'est quelque chose d'assez profond. Parce que là
façon dont tu évolues change tes relations avec elle. C'est très
réaliste en fait, plus que triste. C'est une situation à laquelle
tu dois réfléchir, dont tu dois prendre conscience et faire évoluer
dans le bon sens.
Est-ce que tout l'album traite des relations parents-enfants?
R. K. : Il y a deux chansons qui en parlent clairement, dont
« Mutter ». Les paroles de Till traitent toujours de sujets relationnels
très profonds : l’amour, le sexe, dans leur formes saines ou malsaines.
Il a beaucoup de talent dans le choix des mots, ce qui permet à chacun
de les interpréter à sa manière. Nous les traduisons d'ailleurs
tous différemment au sein du groupe. Le champ sémantique n'est
pas clos. C'est difficile de dire de quels sujets traite Mutter. Peut-être,
tout simplement, de la vie et de ce que nous recherchons.
Comprends-tu que l'évolution de Rammstein ait
de quoi surprendre?
R. K. : La musique est une forme d'artisanat et l'écriture
de chansons est une science. Tu peux partir dans beaucoup de directions différentes.
Et quand tu t'entraînes pendant six ans, tu essaies de t'améliorer.
Je pense que Rammstein a désormais atteint un point oui il a extrêmement
progressé et cela se ressent dans sa musique. C'est comme pour un écrivain
qui a, au fond de lui, quelque chose à exprimer mais qui ne trouve pas
ses mots au départ. II faut qu'il apprenne les bases et qu'il s'entraîne
avant de pouvoir communiquer correctement. C'est ce qui s'est passé avec
Rammstein. Maintenant que nous avons appris, nous pouvons mettre en application
nos connaissances.
Clore un Chapitre
Dans ce contexte, est-ce que le Live Aus Berlin sorti
en 1999 constitue le témoignage de la fin d'une étape pour Rammstein?
R. K. : Oui. La sortie de ce disque était un moyen de
clore un chapitre. Maintenant, nous aspirons à autre chose : nous voulons
changer nos performances live, nos décors de scène, les lumières.
A partir d'aujourd'hui, une nouvelle ère commence pour Rammstein. Même
si, bien entendu, nous voulons également reprendre les bonnes choses
que nous avons utilisées dans le passé.
Est-ce que vous sentiez que Rammstein avait quelque
chose à prouver avec ce nouvel album?
R. K. : Pas exactement. Parfois, il faut finir quelque chose
et aller de l'avant. C'est ce qui s'est passé avec Mutter. L'envie de
tourner une page et d'aller plus loin. Nous n'avons pas vraiment ressenti le
besoin de prouver quoi que ce soit à nos fans ou à d'autres. Dans
le passé, beaucoup de personnes nous ont critiqués pour utiliser
trop d'effets spéciaux sur scène. Ce n'est pas un problème
pour nous. Nous avons toujours souhaité apporter un plus à la
musique. En concert, nous avons envie de nous fondre dans d'autres personnages
sur scène, de faire du théâtre. Tu sais ce que nous sommes
? Des gamins. Qui ont envie de s'amuser sur scène avec leurs nouveaux
jouets. Cela dit, c'est très important de garder l'équilibre entre
le son et l'image, entre nos albums et nos concerts. Quand tu proposes un show
comme le nôtre, la musique se doit de suivre le niveau. Et notre succès
aux États-Unis est dû à cela. Les gens ont avant tout aimé
la musique qui passait à la radio. Ce n'est qu'après qu'ils nous
ont découvert en concert.
Mais, aujourd'hui, la balance ne penche-t-elle pas
plutôt du côté de la musique?
R. K. : II faut attendre de voir les nouveaux shows. Nous avons
grandi, mûri et appris beaucoup de choses. Mais je ne peux pas encore
révéler ce que nous allons proposer sur scène. Nous sommes
actuellement en pourparlers avec certaines personnes, dont Roy Bennett qui s'est
occupé des concerts de Nine Inch Nails et qui a longtemps collaboré
avec Prince. Nous nous sommes rendus compte que nous avions besoin d'aide et
de conseils extérieurs parce que nous ne pouvons plus nous occuper de
tout. Mais pour l'instant, nous ne savons nous-mêmes pas ce que nous allons
faire, à part quelque chose de différent et d'excitant. Et de
grande qualité, bien entendu (sourire)
Un album risqué
Tu évoquais tout à l'heure les États-Unis.
Dans un contexte favorable à la musique heavy, ne penses-tu pas que Mutter
est un album risqué?
R. K. : Je ne sais pas... II me semble qu'il y a toujours beaucoup
de chansons agressives sur cet album. Je crois que Mutter est une balance parfaite
entre notre ancienne production et nos nouvelles aspirations. Je sais que la
maison de disques américaine l'a beaucoup apprécié. La
production et les chansons sont meilleures et je pense que le disque aura du
succès aux États-Unis. J'y vais souvent maintenant puisque ma
femme réside à New York et, en faisant écouter le nouvel
album à des amis, ils ont tous été impressionnés
et surpris par son côté épique. Honnêtement, je ne
crois pas que ce disque se plantera. II n'y a que deux ballades dessus, le reste
est direct et agressif. Bien sûr, beaucoup sont mid-tempo mais il y en
a quatre vraiment très violentes.
Votre succès était basé sur la,
provocation...
R. K. : Oui et non (silence). Enfin, si ! Pas seulement mais
un peu quand même (rires).
Est-ce que Mutter marque la fin de la provocation pour
Rammstein ?
R. K. : Avant tout, nous voulions faire quelque chose de différent.
Nous ne sommes pas le genre de personnes qui réfléchit à
la façon dont nous pourrions choquer les gens. Nous nous amusons simplement
en proposant une alternative. Mais je comprends que cela puisse être provoquant
pour certains. Pour être honnête, les scènes sexuelles en
concert, ce n'était pas trop mon truc. Je ne voulais pas que ce soit
aussi direct. Mais je joue aussi avec cinq autres personnes qui ont leur propre
vision du groupe et de ce qu'il doit faire. J'ai un peu essayé de les
retenir mais rien n'y a fait (rires).
II y existe chez Rammstein un côté très
thrash et extrême qui devient parfois risible parce qu'excessif. N'as-tu
pas peur que certains ne vous prennent pas tout à fait au sérieux?
R. K. : L'autodérision est quelque chose d'important
et beaucoup de personnes ne comprennent pas que nous puissions parfois nous
moquer de nous-mêmes. Mais nous ne sommes pas aussi marrants que tu peux
le penser (rires). Nous restons sérieux dans notre travail. Je crois
qu'il y a une différence entre être poli et être ridicule.
II faut toujours savoir faire la part des choses.